Les hommes parlaient peu et mouraient tôt. Les femmes se faisaient des couleurs et regardaient la vie avec un optimisme qui allait en s’atténuant. Une fois vieilles, elles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s’étaient fait la malle. Irène, la mère du cousin, appartenait justement à cette catégorie des épouses délaissées. Le cousin avait vite grandi, du coup. A seize ans, il savait tondre, conduire sans permis, faire à bouffer. Il avait même le droit de fumer dans sa chambre. Il était intrépide et sûr. Anthony l’aurait suivi jusqu’en enfer. En revanche, il se sentait de moins en moins copain avec les manières de sa famille. Les siens, il les trouvait finalement bien petits, par leur taille, leur situation, leurs espoirs, leurs malheurs même, répandus et conjoncturels. Chez eux, on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux. On était normal en somme, et tout ce qui existait en dehors passait pour relativement inadmissible. Les familles poussaient comme ça, sur de grandes dalles de colère, des souterrains de peine agglomérées qui, sous l’effet du Pastis, pouvaient remonter d’un seul coup en plein banquet. Anthony, de plus en plus, s’imaginait supérieur. Il rêvait de foutre le camp.