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Héraclite

mobilisme universel, changement perpétuel, harmonie des contraires, logos.
Héraclite d’Ephèse, dit l’Obscur
vers 550-480 avant JC.

Rien n’est stable. Tout devient.
(rien n’est permanent, sauf le changement)

Héraclite est contemporain de Pythagore, situé entre Anaximène et Anaxagore. Il est le plus isolé des Présocratiques ; il n’a appartenu à aucune école et n’a eu ni maître ni disciple. Pourtant, Héraclite s’inscrit incontestablement dans la lignée des penseurs de l’Ecole de Milet. Il reste fidèle à sa tradition, celle de la recherche sur la nature, sur la phusis, sur la constitution de toutes choses, et sur la manière dont un savoir en est possible.

Il se prononce sur :

  • le rôle du Feu comme élément constitutif de tout ce qui existe ;
  • les processus de respiration et d’écoulement au travers desquels toutes les choses se transforment mutuellement et perpétuellement les unes dans les autres ;
  • le processus d’harmonie des contraires, contraires qui avaient déjà été évoqués par Anaximandre, avec la première notion des opposés : chaud et sec/froid et humide.

C’est sa doctrine du changement perpétuel et de l’harmonie des contraires qui fera sa gloire.

La légende lui attribue la paternité de tablettes gravées, déposées dans le temple d’Artémis à Ephèse. De son œuvre dont le titre demeure inconnu, il reste 126 fragments authentiques auxquels s’ajoutent 15 fragments douteux.
A la fin de la notice qu’il consacre à Héraclite, Diogène Laërce écrit ceci : « Le livre qu’on lui attribue traite d’un bout à l’autre de la nature, mais il est divisé en trois parties : sur le monde, sur la politique et sur la théologie. Il le déposa en offrande sur l’autel d’Artémis, après l’avoir écrit en termes obscurs à dessein, dit-on, afin que seuls des gens capables pussent le lire, et de peur qu’un style ordinaire ne le rende méprisable. » Ce témoignage de Diogène Laërce, près de sept siècles après la disparition d’Héraclite, est l’un de ceux qui lui attribuent la rédaction d’un livre. Et ce sont ces témoignages qui ont conduit à penser qu’Héraclite avait bien écrit un ouvrage dont toutes les citations conservées sous son nom devaient être issues.

Héraclite est célèbre par sa prétention singulière d’avoir parlé en écoutant la « nature » même, pour dire des choses que personne n’avait découvertes avant lui. Héraclite fut aussi surnommé « le mélancolique » du fait de son humeur chagrine. Il possède une étonnante postérité (de nombreux philosophes modernes se réclament de lui, Nietzsche, Heidegger, Marx …), ce qui s’explique par la profondeur et la puissance de sa pensée.

Héraclite s’exprime par énigmes, ce qui lui vaut le surnom d’ « Obscur ». Il s’exprime par formules, souvent volontairement sibyllines.

À travers les 126 fragments qui nous restent, et par-delà les multiples interprétations proposées de l’antiquité à nos jours, plusieurs thèmes s’imposent :

  • la quête d’un fondement unique de l’Univers
  • le devenir et l’écoulement des choses
  • le processus des contraires
  • l’homme éveillé, qui raisonne selon le Logos, et son opposition aux hommes endormis.

1. Principe unique de l’Univers
Pour cerner le principe unique de l’Univers, Héraclite a retenu des concepts et des images divers : l’Un, le Logos, le Feu, la Foudre, la Nature, Ce qui ne sombre jamais, Celui qui est, La sagesse, la Justice, l’Harmonie, le Combat, la Discorde…
Le principe, s’il est nommé l’Un, le Feu, ou Celui qui est, se trouve aussi désigné comme la Parole et comme Dieu. Il n’y a pas chez Héraclite un devenir de l’Être, mais un devenir dans l’Être.

2. Le devenir est constitué par un processus de contraires
Les changements de contraires constituent une perpétuelle nouveauté. On appelle parfois Héraclite le père du « mobilisme universel ».
« Rien n’est stable. Tout devient. »

L’univers est pour lui un éternel devenir. Qu’on prenne pour exemple l’image du fleuve qu’on trouve dans 3 fragments :
Fragment 49 : « Nous descendons et nous ne descendons pas dans le même fleuve. »
Fragment 91 : « On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. »

Héraclite découvre les harmonies cachées dans les contradictions de la nature. L’instabilité de toute chose est l’aspect le plus populaire de sa doctrine philosophique. Le froid se transforme en chaud, de même en va-t-il pour le sec et l’humide, l’ombre et la lumière. L’opposition des contraires est une loi.
Fragment 126 : « Le froid devient chaud, le chaud froid, l’humide sec et le sec humide. »
Fragment 23 : « S’il n’y avait pas d’injustice, on ignorerait jusqu’au nom de la justice. »

Le conflit anime l’Univers mais se trouve paradoxalement engendrer l’harmonie suprême.
Fragment 53 : « La guerre est le père de toutes choses et le roi de toutes choses. »
Fragment 88 : « Ce qui est en nous est toujours un et le même : vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse ; car le changement de l’un donne l’autre, et réciproquement. »

C’est le conflit des contraires (jour et nuit, vie et mort, jeunesse et vieillesse, beauté et laideur). Génération et destruction marchent ensemble. La division provoque la réunification. L’antagonisme mais aussi la complémentarité des forces opposées permet au monde de s’édifier. Ainsi se recompose l’unité fondamentale, l’harmonie.
Fragment 8 : « Ce qui est contraire est utile et c’est de ce qui est en lutte que naît la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde. »

Les contraires ne sont pas supprimés dans l’unité qu’ils forment, mais que l’unité d’une chose quelconque consiste très exactement dans le rapport et la tension des contraires qui la constituent.

Certaines constances subsistent néanmoins dans l’univers. Il y a des limites et des révolutions périodiques dans le devenir des choses.
Le Feu se transforme d’abord en mer, de la mer une moitié devient terre, et l’autre souffle igné.
Fragment 66 : « Tout sera jugé et dévoré par le feu qui surviendra. »

3. Origine de la fécondité du conflit
L’origine de la fécondité du conflit, de cette secrète harmonie des contraires, vient du fait qu’une unique loi divine relie les opposés, loi qui n’est autre que celle de la pensée, Logos qui, présent en l’univers, tient en harmonie ses parties.

La pensée gouverne tout et partout. Se rapproche du Noüs d’Anaxagore.

Le Logos est selon quoi toutes choses arrivent, il gouverne le monde, en outre, il s’abrite dans l’âme. Mais la profondeur même dont il provient ne nous le rend pas totalement accessible :
Fragment 113 : « La pensée est commune à tous. »
Fragment 116 : « A tous les hommes, il est accordé de se connaître eux-mêmes et de faire preuve de sagesse. »

Les âmes émanent donc du Logos universel et la vraie sagesse consiste à fondre la pensée individuelle dans la pensée universelle. Héraclite retrouve à l’issue de sa méditation, l’identité essentielle des êtres et de l’ordre du cosmos.

Fragment 1 : « Ce mot (logos), les hommes ne le comprennent jamais, aussi bien avant d’en avoir entendu parler qu’après. Bien que tout se passe selon ce mot, ils semblent n’avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, en distinguant et en expliquant la nature de chaque chose. Mais les autres hommes ignorent ce qu’ils ont fait en état de veille, comme ils oublient ce qu’ils font pendant leur sommeil. »
Fragment 2 : « Aussi faut-il suivre le logos commun ; mais, bien qu’il appartienne à tous, le vulgaire n’en vit pas moins comme si chacun avait une intelligence particulière. »

Héraclite dit que les hommes ne font pas un usage convenable de la raison. Il existe bien un bon usage de la pensée, un bon raisonnement (logos) à propos de tout ce qui est, qui doit être distingué des manières de connaître qu’adoptent les hommes et auxquelles ils ont la faiblesse de se tenir.
La distinction est ainsi introduite entre la connaissance et la pensée ordinaires, celle du grand nombre, et la connaissance comme la parole savantes, que l’on dira bientôt « philosophiques ».
Héraclite aura distingué entre deux types de connaissances : les connaissances erronées que partagent la totalité des hommes, elles sont fausses parce qu’elles résultent d’un mauvais usage de la réflexion, et la connaissance, seule en son genre, qui est vraie parce qu’elle est la connaissance de ce que sont toutes choses. À cette connaissance vraie, Héraclite réserve le nom de logos, « raisonnement qui est toujours vrai ».
Fragment 41 : « La sagesse consiste en une seule chose, à connaître la pensée qui gouverne tout et partout. »


En résumé, Héraclite, prophète du mobilisme universel, souligne l’opposition des contraires mais aussi leur complémentarité d’où provient l’harmonie, fruit d’une loi divine qui tient ensemble les parties et qui n’est autre que le Logos.

La thèse du changement perpétuel et celle de l’unité harmonieuse du tout ne se contredisent donc pas pour qui parvient à découvrir, derrière le changement et la mobilité de toutes choses, l’ordre sempiternel de ces mêmes choses.

Le paradoxe ne serait ainsi qu’apparent, et la réalité mobile, fluente, loin d’être une dissemblance chaotique, possède un ordre ; pour perpétuel qu’il soit, le changement a une mesure, et elle est divine. La connaissance de cette mesure et le discours qu’on tient sur elle sont désignés du seul et même mot : la pensée ou Logos.

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