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Hégémonie culturelle et guerre de position

Agir par la culture
L’hégémonie culturelle selon Gramsci
Aurélien Berthier

Le procureur mussolinien terminera son réquisitoire par ces paroles : « Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner ». Ruse de l’histoire, c’est durant cette longue incarcération que le socialiste révolutionnaire formera sa pensée, devenant l’un des plus originaux théoriciens du marxisme.
[…]
Constatant que les révolutions communistes promises par la théorie de Marx n’avaient pas eu lieu dans les sociétés industrielles de son époque, Gramsci formule une hypothèse. Si le pouvoir bourgeois tient, ce n’est pas uniquement par la main de fer par laquelle il tient le prolétariat, mais essentiellement grâce à son emprise sur les représentations culturelles de la masse des travailleurs. Cette hégémonie culturelle amenant même les dominés à adopter la vision du monde des dominants et à l’accepter comme « allant de soi ».
Cette domination se constitue et se maintient à travers la diffusion de valeurs au sein de l’École, l’Église, les partis, les organisations de travailleurs, l’institution scientifique, universitaire, artistique, les moyens de communication de masse… Autant de foyers culturels propageant des représentations qui conquièrent peu à peu les esprits et permettent d’obtenir le consentement du plus grand nombre.
Pour renverser la vapeur, toute conquête du pouvoir doit d’abord passer par un long travail idéologique, une lente préparation du terrain au sein de la société civile. Il faut, peu à peu, subvertir les esprits, installer les valeurs que l’on défend dans le domaine public afin de s’assurer d’une hégémonie culturelle avant et dans le but de prendre le pouvoir.
[…]
Pour Gramsci, l’État ne se résume pas au seul gouvernement. Même si ces sphères se recoupent souvent, on peut distinguer deux lieux de son pouvoir :

  • D’une part, la « société politique » qui regroupe les institutions politiques, la police, l’armée et la justice. Elle est régie par la force.
  • D’autre part la « société civile » qui regroupe des institutions culturelles (université, intellectuels, médias, artistes) et qui diffuse de manière ouverte ou masquée l’idéologie de l’État afin d’obtenir l’adhésion de la majorité de la population. Elle est régie par le consentement.

Si dans les régimes dictatoriaux, c’est surtout la société politique qui règne (par l’oppression), dans les sociétés occidentales démocratiques, c’est principalement la société civile qui organise la domination. C’est donc dans son cadre que le combat (culturel) doit être mené et non par une confrontation frontale avec la société politique.

Le Monde Diplomatique
Gramsci, une pensée devenue monde
Razmig Keucheyan

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